Barrage

Bon, je vais être directe pour un fois : voici une petite liste d’arguments pour vous convaincre ou convaincre vos proches d’aller voter Macron ce dimanche.

J’avais commencé un très long article avec une coloration très personnelle et autobiographique sur les raisons qui m’amènent à choisir la voie de la conciliation plutôt que la révolution, mais finalement, ça a dérapé en « tout mais pas ça », donc autant lancer mon « tout mais pas ça » aussi clairement que possible.

Il y a beaucoup de chemins de pensée qui motivent certains Français à voter Le Pen ou à s’abstenir au second tour, donc il y a beaucoup de registres différents, j’espère que pour quelqu’un au moins l’un d’entre eux fera effet.

Avertissement : ceci est vraiment une liste d’arguments (clairement ça ne me vaudra pas le prochain Goncourt), présentés sous forme de réponses aux principaux raisonnements que j’ai entendus.

Pour ceux qui veulent voter FN/MLP…

… parce que les autres sont « tous pourris » ! Le FN aussi !

  • Les affaires du Parlement Européen (détournement de fonds publics européens pour financer des membres du FN quand ils n’avaient plus droit à des indemnités liées à des missions publics
  • Le racket de la campagne électorale : forcer les candidats FN à acheter à prix d’or (complètement surévalué) des kits de campagne afin de toucher les remboursements par l’Etat, qui paie donc le prix réel et le surcoût inventé pour renflouer les caisses du parti (affaire du micro-parti Jeanne)
  • Les malversations personnelles de la famille LP : au moins la fraude fiscale par sous-déclaration de patrimoine (il paraît que dans leur déclaration, leur baraque de 200m² avec jardin à Rueil-Malmaison coûte le prix de mon T3 dans le 93 – ha ha ha), je n’ai même pas le courage de chercher plus loin.
  • Le refus d’assumer devant la justice en se cachant derrière l’immunité parlementaire – alors qu’en face, le FN demande une justice plus sévère pour les simples citoyens que nous sommes.
  • Les magouilles clientélistes dès que le parti est aux affaires, racontées par de militants FN élus localement et qui découvrent l’envers du décor.

… parce qu’on a essayé tout le reste et que ça n’a pas marché ! Le FN ne marchera pas non plus !

  • Les dégâts des mandats FN : au cours d’une mission pro, les Vitrollais m’ont raconté le boulot pour récupérer une ville qui fonctionne après le mandat d’extrême-droite (culture au tapis, tissu associatif désagrégé…). Couper les dépenses pour donner l’impression qu’on fait des économies, c’est facile, mais sur le long terme, c’est comme enlever « ce truc qui fait du bruit sous le capot », la voiture aura l’air OK pendant 10 bornes, mais après, le moteur commence à fumer et finit par lâcher… Valait peut-être mieux réparer que s’en débarrasser…
  • L’inanité du programme économique : les économistes les plus libéraux comme les autres (et pas n’importe qui !) décrient ce programme incohérent et dangereux – et l’idée récente de repasser au Franc sauf pour les entreprises qui resteraient à l’Euro donne le ton du manque de solidité idéologique et pragmatique sur le sujet…
  • L’exemple américain : je m’avance peut-être un peu, là, mais j’ai l’impression que les US nous montrent avec quelques mois d’avance les dangers de se laisser séduire par un populisme soit-disant hors du marigot (« the swamp ») : c’est facile d’être populiste quand on ne connaît pas les dossiers et qu’on ne se confronte pas à la complexe réalité… Et après, on entend dans la bouche du président des énormités comme « personne n’aurait pu imaginer que l’assurance-maladie était si compliquée » ou « on m’avait dit de dire que l’OTAN était obsolète, mais en fait, on m’a expliqué l’OTAN, elle n’est pas obsolète« 

… parce qu’on en a marre de ces vieilles têtes qui se reproduisent élection après élection ! Certainement pas plus de renouveau au FN !

  • Jean-Marie Le Pen a commencé à candidater aux présidentielles en 1974, puis sa fille a pris le relais (pas juste son héritier-ière politique, non, son héritière tout court). Soit 7 scrutins sur 8 avec un Le Pen candidat depuis 1974.
  • C’est clairement une affaire de famille, entre la nièce (MMLP) et le concubin (LA)… est-ce que c’est vraiment ça, le renouveau ?

… parce qu’eux au moins, ils pensent à ceux qui galèrent en silence ! MLP n’est certainement pas la femme providentielle des oubliés !

  • Elle-même et les dirigents FN sont nombreux à venir de grandes familles, riches, bourgeoises, qui n’ont jamais connu la précarité et ne s’y intéressent que pas électoralisme.
  • Un programme qui soutient les riches (défiscalisation de la donation, pas un mot contre le capitalisme s’il n’est pas entaché de « mondialisation » ), sabote l’ascenseur social (éducation), et risque de plomber les plus pauvres en raison de sa politique monétaire.
  • Un historique de politiques locales qui, en voulant s’attaquer aux mauvais pauvres (dans leur esprit ceux qui ne viennent pas d’ici ), lèse tout le monde : fin de la gratuité à la cantine au Pontet, fermeture d’établissements socio-culturels (Fréjus, Beaucaire), dissolution d’associations…
  • Un raisonnement dangereux à base de bouc-émissaire : diviser pour mieux régner, c’est une logique machiavélique qui détourne le peuple des vrais problèmes. Le problème, c’est l’ultralibéralisme qui traite les gens comme des choses, les exploite et les jette, certainement pas la partie un peu pigmentée de ces gens qui ont une vie tout aussi difficile (à quelques exceptions près, mais il y en a de toutes les couleurs !) Il ne faut pas se battre pour que seuls certains « méritants » aient de l’aide, mais pour que tous ceux qui ont besoin d’aide en reçoivent, en cassant ce système qui se sert de nous au lieu de nous servir.

 

Pour ceux qui refusent de voter contre le FN/MLP…

… parce ce que c’est bonnet-blanc et blanc-bonnet ! Si on connait l’histoire, si on croit à l’égalité, on ne peut pas dire ça !

  • Parce que tous les propos racistes, parce que l’antisémitisme, parce que les ratonnades et la casse de pédés
  • Parce que le racisme institutionnalisé via la préférence nationale
  • Parce que la politique anti-émancipation féminine, parce que les restrictions au droit à l’IVG gratuite…
  • Et tant d’autres, qui sont comme des coups de poings dans la figure de tous ceux qui se sont battus et se battent pour plus d’égalité.

… parce qu’elle n’aura pas de majorité législative ! Est-ce si sûr ? et quand bien même, les conséquences symboliques et pratiques seraient graves !

  • La casse au niveau local, on l’a vue, elle existe ; en veut-on au niveau national ?
  • Dans un monde hyper concurrentiel, le repli protectionniste et les erreurs stratégiques se paient cher : je vous présente l’hypothèse de la Reine Rouge, où il faut courir très vite juste pour rester sur place. Si on n’avance pas avec le monde pendant toutes ces années à cause d’un blocage institutionnel, ce n’est pas 5 ans de sur place, c’est 10 ans de retard qu’on aura pris, car le monde, la science, la société, la planète… ne nous attendront pas !
  • Vis-à-vis du monde justement, comment supporter que le « pays de Droits de l’Homme », Liberté Égalité Fraternité,  se donne une présidente qui crache sur au moins deux des trois (et les trois selon le sens qu’on donne au premier – celui que je lui donne) ? Une autre baffe dans la figure de ceux qui ont lutté – et de ceux qui luttent encore.
  • Parce que rien n’est jamais acquis pour toujours, et que ces victoires du passé doivent être protégées chaque jour (Sécu, droits des femmes, droits sociaux au travail…) Le FN participe à un glissement idéologique qui nous rappelle combien le chemin est court vers un système qui renonce à ces acquis (coucou les US !) donc c’est jouer avec le feu que de laisser ce genre de parole atteindre le sommet de l’Etat. Même nos institutions, même la démocratie ne sont pas garanties pour toujours (coucou la Turquie !)

… parce qu’il y en a marre du vote utile ! Et le vote inutile nous mènera plus loin ?

  • Spéciale dédicace aux Insoumis qui attendaient qu’Hamon se désiste pour leur candidat. Quand c’était dans votre sens, le vote utile était nécessaire ? Mélenchon a siphonné… quoi, un quart, un tiers, la moitié des électeurs de BH ? (j’en connais plusieurs moi-même, des très convaincus, qui ont voté « utile » alors qu’ils avaient peur de certaines des positions ou du caractère de l’homme à la veste noire). Alors soyons cohérents, si le vote utile était utile le 23 avril, il peut encore l’être le 7 mai pour quelque chose d’aussi important !
  • Les discours des abstentionnistes, je ne le comprends pas : P-E Barré de France Inter l’a dit à sa manière dégueu, il a l’impression qu’on lui demande de se taper une moche ou une très moche, et il préfère s’abstenir. Sauf qu’il s’abstient seulement de choisir, pas de se taper la fille qui sera choisie, parce que c’est ça, le principe : il y en aura forcément une ! Bien sûr, ça ne fait plaisir à personne de voter pour quelqu’un dont on ne partage pas les idées, mais ça vaut toujours mieux que de voter pour quelqu’une qui qui nous donne envie de rendre notre nationalité française au guichet de la préf’, non ?
  • Il reste une bataille, qui d’un point de vue pragmatique sera plus décisive que celle de cette semaine : les législatives, ce sont elles qui détermineront la politique de la France pendant 5 ans. Là, on pourra dire tout ce qu’on a sur le cœur, parce qu’il y a suffisamment de circonscriptions, de candidats, de places à prendre, pour accueillir toute cette diversité. Ce dimanche, en revanche, la dimension symbolique est énorme, et le côté pratique beaucoup moins prégnant. Alors ne nous trompons pas d’ordre (même Mélenchon l’a rappelé sur TF1 – arg, il m’a forcée à regarder TF1 en plus !)

… parce que si ce n’est pas cette fois, ce sera la prochaine, alors autant que ça pète ! A quel prix, la Révolution ?

  • D’abord le prix symbolique d’avoir laissé ça arriver. Dans 50 ans, quand vous vous retournerez sur ce qui se sera passé, vous aurez envie de raconter que vous avez joué les cyniques qui étaient prêts à attendre que ça casse pour se pointer en sauveur ?
  • Ensuite, le prix réel dans nos vies, celui que paieront les générations qui passeront des caps majeurs dans les moments de troubles : la naissance pendant la Révolution ? la scolarisation pendant la Révolution ? l’entrée dans le monde du travail pendant la Révolution ? La perte d’autonomie, la maladie pendant la Révolution ? Et aussi du monde qui continuera d’avancer pendant ces moments de troubles : le déraillement européen pendant la Révolution ? Les tensions nucléaires pendant la Révolution ? le terrorisme pendant la Révolution ?
    On peut dire que je tiens à mon petit confort, que j’ai les jetons, que j’aurais collaboré en 40 (ben oui, point Godwin oblige)… c’est vrai, j’ai peur. Mais ça ne veut pas dire que je déroulerais le tapis rouge à l’ennemi en cas de vrai conflit – simplement que je ne crois pas au fait d’aller chercher le conflit quand il reste des options pacifistes, délibératives… et il en reste selon moi.
  • Il y a aussi les conséquences à long terme : la Révolution, ça va plus vite, c’est éclatant, mais ça laisse un paquet d’aigris, les « perdants », qui ont parfois beaucoup perdu (du poids du portefeuille à la présence de l’appendice capital). Je déteste les privilèges (j’aimerais d’ailleurs que notre fête nationale soit le 4 Août car l’abolition des privilèges me paraît plus fort que la fin des lettres de cachet) MAIS on a suffisamment vu les conséquences d’un passage en force, pour les générations suivantes qui connaitront le retour de balancier.
    Personnellement, je crois au changement depuis l’intérieur (c’était le titre de mon billet initial), j’ai fait l’expérience de son efficacité dans ma pratique professionnelle, je suis persuadée que c’est aussi comme ça dans l’éducation (faire adhérer l’enfant à la règle en lui montrant pourquoi elle est bénéfique plutôt que lui imposer)… Jouer le jeu encore un peu, c’est se donner une chance de convaincre, de convertir les opposants, de modifier le cadre depuis l’intérieur en avançant au maximum tous ensemble. Alors oui, ce n’est pas l’habitude en France, mais est-ce que ça vaut la peine d’être têtu quand ça ne marche pas – l’Histoire nous montre assez d’exemple de retours de balancier tragiques, pourquoi ne pas choisir la Voie du milieu directement ? (fille de boubou un jour, fille de boubou toujours)

 

Voilà, cet article est beaucoup moins profond que son premier brouillon, même si ça ne l’empêche pas de faire 2km… Je vous parlerai un jour de notre approche ninja de la conviction au boulot, c’est assez fascinant à mes yeux.

En attendant, si j’ai pu infléchir la décision d’un seul électeur directement ou indirectement, ces 2km auront quand même valu la peine. Voici un autre article dans la veine duquel le mien se glisse, il doit y en avoir beaucoup d’autres.

Surtout, je pense important de ne pas essayer de passer en force non plus dans les idées des gens : brusquer l’opinion de quelqu’un ne l’a jamais fait changer d’avis, insulter son intelligence non plus. Il faut à chaque fois trouver la porte d’entrée, les émotions, la raison, l’anecdote personnelle, le sens du devoir… et prendre le temps. C’est aussi ça, le changement de l’intérieur, non pas manipuler mais aider à regarder le problème dans le sens qui fera sens.

Sur ces bonnes paroles un tantinet présomptueuses (et d’autant plus faciles à dire que personnellement, je ne connais personne qui annonce vouloir voter FN ou blanc donc je ne peux pas en tester la portée), je vous laisse : tous aux urnes dimanche pour la liberté, pour l’égalité, pour la fraternité, pour notre histoire et pour notre futur.

 

 

 

17 réflexions sur “Barrage

  1. Je suis d’accord avec toi. Pour avoir envisagé ne pas voter contre le FN dans une autre configuration de second tour je peux un peu comprendre les indécis. J’étais quand même étonnée par l’ampleur du mouvement, j’avais toujours pensé que la position de Macron lui permettrait de mieux ressembler. Après on est d’accord qu’il n’a rien de centriste mais quand même, je ne comprends pas la réaction de certains insoumis qui se déportent vers le FN… Pour moi ce sont les champions du grand écart !

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    1. Si ça avait été un autre en face, j’aurais écrit dans la même direction, mais ça m’aurait certainement plus arraché la figure…
      Pour ce qui est du grand écart, pas sûr : si on regarde les positions sur un cercle plutôt qu’une ligne, elle se rejoignent à l’opposé du centre, par la posture extrême. Quand j’étais petite, je ne comprenais pas pourquoi on disait que l’amour était proche de la haine, ça me semblait évident que c’était l’opposé absolu… et en grandissant, j’ai compris que ces deux sentiments étaient opposés en nature, mais pas en intensité. Les transfuges trostkomao de 68 qui ont terminé au FN, il y en a plus d’un malheureusement… (c’est d’ailleurs ce qui me fait me méfier aussi beaucoup de l’extrême gauche, la dimension extrême est loin d’être anodine, entre culte du leader et autoritarisme… tout ça était dans mon premier article, mais il aurait fait 4000 mots !)

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  2. Ton article est très pertinent. Il remet les choses au clair avec de vrais arguments malheureusement pour avoir « discuté » avec des ni-ni, je dois dire que c’est très dur de leur faire entendre quoi que ce soit.
    Mais ne baissons pas les bras, je me dis qu’on peut parfois avoir l’air virulent et inflexible et une fois seul(e) changer d’avis. Donc continuons inlassablement à essayer de convaincre.

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    1. Quand je vois que les supporters de Trump continuent de le soutenir échec après échec, cata après cata, honte après honte… je me dis que le biais d’engagement est trop fort pour qu’on puisse faire changer une opinion par une simple discussion, même preuves à l’appui. Et le problème, c’est qu’en face, ils ont la même impression : les libéraux refusent de voir la réalité en face à cause de la dissonance cognitive. Mais promis, je vous raconterai comment on a retourné une micro-branche d’un Ministère non pas par la force mais par une approche inclusive et coopérative…
      En attendant, on espère et on ne lâche pas !

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  3. Forcément je suis d’accord avec toi, tu prêches une convaincue. Et du coup je suis frustrée en lisant cet article car moi la vraie question que je me pose en ce moment est : comment tu vas ? Donne moi vite de tes nouvelles 🙂 .

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    1. Humph, tu me dis que ça n’était pas la peine de l’écrire ?
      Quand je vois ce qui passe sur Hellocoton, je pense que la seconde catégorie n’est peut-être pas si loin…
      Et au pire, ce sera pour faire chier la grand-tante raciste !

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      1. Ah non, c’est toujours intéressant d’avoir plusieurs billes quand on discute avec des copains / collègues… qui se pose la question de l’abstention 🙂

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